lundi 7 décembre 2020

Walo

Walo Hutmacher est décédé du COVID 19 fin novembre. Il avait 88 ans, huit plus que moi. Je l'ai remplacé à la tête du SRED  en 1997 lorsque il a été obligé de prendre la retraite comme directeur du SRED car il avait 65 ans à ce moment là. Ce n'a pas été une succession facile mais j'étais content qu' à 57 ans je pouvais trouver un travail intéressant, passionnant. Je suis revenu en Suisse à ce moment -là et ma déception professionnelle fut cruelle. Il n'y avait plus de place pour moi dans la recherche en éducation en Suisse. Je n'ai pu plus jouer le rôle que j'avais eu au début des années 70 et il me fut impossible de remplacer Walo dans ses postes au niveau fédéral. Les postes étaient occupés. Je fus cantonné à Genève sans aucune responsabilité fédérale. Mon expérience internationale ne comptait plus rien dans la  Suisse de la fin du XX siècle. Je ne pouvais que me concentrer sur le SRED. 30 années auparavant en Suisse je tenais avec un petit groupe de spécialistes dont  Walo faisait partie presque un rôle de pionnier dans le domaine de la recherche en éducation et en particulier dans les contacts internationaux. J'ai découvert plus tard que le fait pour le monde pédagogique helvétique de rester en dehors des échanges internationaux c'était un choix délibéré, de nature politique.3O ans plus tard on avait presque repris ce choix de ne pas s'engager dans les affaires internationales ( c'était beaucoup plus raffiné que ça) et j'étais hors jeu. Je ne l'avais pas compris. Je suis venu à Genève naïf.Walo ne me voulait pas à la tête du SRED. Son candidat à sa succession était un sociologue du SRED.  La nomination était toutefois de la compétence  du  chef du Département de l'Instruction publique ( le DIP) qui n'était que Martine Brunschwig Graf, détestée par les enseignants et par leurs organisations associatives  car elle était une libérale et venait de prendre la place de André Chavanne qui avait dirigée le DIP pour plus de 20 ans. Je découvrais le jeu politique genevoise ce qui m'incita 8 années plus tard à rentrer à Paris.Le jeu ne valait pas la chandelle.

Un rôle important de ma venue à Genève fut tenu par MLF, Marie Laure François, secrétaire générale du DIP et bras droit de Martine. C'est grâce à Marie Laure que je suis venu à Genève. Walo avait fait ses calculs que j'ignorais et j'ignore toujours  mais c'était clair pour lui qu'il n'avait pas pensé à moi pour sa succession. Cependant il était au courant du fait que ma fonction au CERI était finie. Je voulais en finir avec les indicateurs et l'évaluation de l'école. Je n'étais plus à la hauteur.   Je n'étais pas un sociologue non plus. Je n'avais pas un profil précis. Walo et moi on  se connaissait depuis les années 70. On était ensemble dans le Comité qui devait préparer la future Université d'Argovie à Aarau qui devait être une université axée sur l'éducation.  Je venais de Berne et j'étais le fonctionnaire fédérale chargé du dossier. Walo venait de Genève et était un sociologue de renommé, spécialisé dans le domaine de l'éducation.  Dans les années 1974-75 je venais tous les quinze jours à Genève pour un séminaire sur les politiques scolaires organisé  au service de la recherche sociologique par Walo Hutmacher  et par Philippe Perronoud  qui visait à une chaire à l'Université de Genève( peut-être il y était déjà. Je n'en sais rien) dans la Faculté de psychologie et de sciences de l'éducation( la FAPSE). Un sociologue dans la faculté de sciences de l'éducation. On croyait que c'était une nouveauté. Ce l'était en Suisse , je l' ai par ailleurs découvert plus tard. En plus, je n'étais pas d'accord ni avec Walo ni avec Perronoud.

Walo m'avait beaucoup soutenu à l'OCDE. Lui il représentait la Suisse dans le Comité Directeur du CERI où il avait remplacé son ami Uri Trier de Zürich et était un fervent supporter de Tom Alexander le directeur du CERI et de DELSA ( la Direction de l'éducation et des affaires sociales ). Alexander était un écossais( je crois),  formé dans le service diplomatique anglais, avec toutes les qualités et les défauts de ces fonctionnaires-diplomates. Il était autoritaire et il connaissait le pouvoir. Walo l'admirait. 

Je  rencontrais Walo à Paris   au moins deux fois par an, dans un bar du quartier de la Muette où se trouvait l'OCDE,  à la veille des réunions du Comité directeur ( en anglais on disait le Governing Board) du CERI et je lui racontais ce qui se passait dans le secrétariat de l'OCDE ainsi que les facteurs cachés derrière les documents qu'il avait reçu et qu'il avait lu. Bref,  je lui fournissait  les explications de " background " pour comprendre les documents qu'il recevait. On était seuls. Je lui parlait librement. Je l'ai aussi utilisé beaucoup. Il savait parler, il était créatif. Dès que j'ai dû m'occuper des migrations, je l'est enroulé comme experts et puis il a tenu un grand rôle dans le projet international sur les indicateurs de l'éducation ( projet INES).

Sur le chemin de mon  retour en Suisse je me rappelle quelques moments passés avec lui, mais ma mémoire commence à flancher. 

Lorsqu'il sut de ma nomination, il  a cherché de "m'acheter" , de me rallier à son monde mais il n'y a pas réussi. En juin 1997 j'ai eu trois rencontres avec lui au mois de juin au siège du Service de la recherche sociologique à la rue 31 Décembre. Il a essayé de m'expliquer ce qu'il faisait ou aurait aimé faire et de donner un rôle à Genève que je ne connaissais pas. Il m'avait dit, déjà à Paris, bien avant, qu'il rencontrait beaucoup de problèmes à unir les trois services de recherche en éducation existant à Genève. J'étais donc au courant, au moins vaguement,  de ce qui se passait ( le Service de la recherche pédagogique qui avait été dirigé par Raymond Hutin et qui n'avait pas de directeur, le Service de la recherche du cycle d'orientation, pour les non-Genevois c'est l'école moyenne de 11 à 15 ans, dirigé par Fiorella Gabriel et le Service de la recherche sociologique dirigé par Walo).  C'était son job du moment:  réunir ces trois services. Le DIP l'attendait la-dessus. Or je découvris avec surprise que les progrès sur cette question  étaient bien minces et que Walo pataugeait . Dans ces services il était détesté,  il y avait des chercheurs excellents  et d'autres passablement faibles. Il le savait.  Mais il ne me dit rien. IL a été très correct dans son tour d'horizon. La situation de la recherche en éducation en Suisse  n'était en rien comparable avec ce que je connaissais dans les pays scandinaves, en Angleterre , aux Etats Unis , au Canada, en Australie , pour ne faire que quelques exemples, où la recherche sur l'éducation était très actives. Walo le savait.

Walo souhaitait aussi que je m'occupe de ces dernières passions, avant tout de questions religieuses mais j'étais personnellement hostile à cette tournure. Dans son tour d'horizon il a été aussi très discret sur SPISE, la section de statistique scolaire qu'il avait créé et ne dit rien en ce qui concerne les indicateurs de l'enseignement et l'évaluation scolaire, les terrains dont je m'occupais à l'OCDE. Il souhaitait s'installer au SRED et avoir un bureau pour lui,  ce que je refusais . 

A Paris il tenait un discours très à l'avant guarde que je ne retrouvais plus à Genève. Aucune trace des débats en cours à l'OCDE et qu'il connaissait fort bien car je l'utilisais beaucoup et il se laissait utiliser.

 Il fut avec moi à Wollongong en Australie en 1991 ( je crois, mais ma mémoire commencer à me jouer des tours)  pour une réunion du Comité scientifique ( je changeais tous les deux ans le nom de cet organisme et aussid'acronyme pour le désigner) dont il était membre et je me rappelle fort bien son rôle. Il faisait très chaud . C'était décembre, la veille de Noël, l'été en Australie. Les Australiens ( en particulier Alan Ruby et Tim Wyatt)  avaient payé les frais locaux et avaient organisé une conférence fédérale sur les indicateur de l'éducation à Canberra. Walo  ne voulait pas venir. Je l'ai convaincu à y être. On a même pris un bain ensemble dans l'Océan. 

A Genève, au contraire,  dans les Services élargi de la recherche en éducation dont il avait la charge,  pas un mot sur les indicateurs de l'éducation. Les membres des trois services ignoraient la théorie des indicateurs. Ils étaient accrochés aux statistiques scolaires de la vieille école et que Walo maîtrisait. Je luttait contre la vieille école de statistiques scolaires Je dois aussi reconnaître que la base de données scolaires genevoise était spectaculaire et unique en Suisse. Cependant j'ai eu souvent l'impression à Genève dans les premières  années de mon directorat de devoir recommencer dès le début la bataille pour produire un ensemble d'indicateurs scolaires que j'avais menée déjà à Paris à l'OECD. 

Puis Walo tenait beaucoup aux régions européennes. Il était le président d'une association qu'il avait fondé dont je ne retiens pas le nom pour développer une politique de l'éducation des régions en Europe. Il y avait la Catalogne, Lyon Rhône-Alpe, la Lombardie, la Rhénanie, si je me rappelle bien. Il souhaitait mon aide en tant que nouveau directeur du SRED, pour l'aider. Il avait raison sur le fond mais je ne partageais pas sa démarche que j'estimais erronée et naïve, faible sur le plan théorique . Il a dû se débrouiller tout seul et son échec sur ce point a été flagrant. Il y eut  beaucoup d'autres moments de collaboration mais petit à petit j'ai pris les distances de lui et je ne l'ai plus rencontré. J'ai le souvenir d'une personne brillante , qui avait donné des perspectives nouvelles à la recherche en éducation, d'une grande curiosité,  mais qui n'avait pas vu venir le changement lié aux nouvelles technologies et à l'arrivée des algorithmes dans le monde de l'éducation. Pour un sociologue c'était trop.

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